Le 29 novembre dernier, John Seigenthaler Senior a publié une lettre dans le USA Today faisant état de fausses informations intégrées par un internaute à sa biographie, sur la version anglophone de Wikipédia (qui compte actuellement plus de 800 000 articles). Ce qui est arrivé à Monsieur Seigenthaler est, effectivement, désolant.

Si nul n’est à l’abri d’erreurs, il demeure que l’ouverture éditoriale de Wikipédia comporte certains risques. Outre une possibilité d’erreurs ou d’omissions, il peut aussi arriver, dans un tel contexte, que certaines personnes soient tentées de s’adonner à l’autoréférence (bien que ce n’est certainement pas propre à l’ouverture participative, si l’on considère les références croisées qui peuvent être pratiquées par certains médias…). Il y a des situations qui laissent perplexes…

Et bien entendu, certaines entreprises voudront sans doute essayer de tirer profit de ce cas récent pour positionner leurs produits, tel que peut, entre autres, le laisser entrevoir le courriel qu’à reçu Mario cette semaine !

La possibilité de contribuer sous adresse IP étant discutée depuis un moment, Jimmy Wales a proposé à titre expérimental, sur la version anglophone de Wikipédia, d’obliger les internautes à s’ouvrir un compte afin de pouvoir créer un nouvel article – un événement qui a notamment été rapporté par le Devoir. Selon Wales, cette mesure viserait à tenter d’abaisser le nombre de nouveaux articles, afin de réduire la charge de travail que représente leur vérification. Les avis sont cependant mitigés au sujet de cette expérience – même au sein des membres de la Fondation. Des très nombreux courriels qui ont été échangés sur les listes de discussions, il y a deux points concernant cette mesure qui doivent être mentionnés ici. D’abord, il faut préciser que la mesure n’est pas, à proprement parler, une expérimentation : il n’y a pas de données permettant de mesurer l’incidence de cette « expérience » sur le taux de vandalismes commis, il s’agit plus simplement d’une implémentation (quoique peut-être pas définitive). Par ailleurs, il faut dire que cette procédure change peu de chose en ce qui a trait aux contributeurs mal intentionnés, ceux-ci n’ayant qu’à s’enregistrer sous un pseudonyme afin d’opérer. À ce niveau donc, la vérification des modifications récentes demeure un axe de travail à privilégier – à ce sujet, lire notamment ce pertinent message.

Il ne faudrait pas croire que les collaborateurs à Wikipédia prennent ce genre de situation à la légère. Les nombreuses discussions au sujet des moyens à envisager afin d’accroître la qualité et la fiabilité de Wikipédia me semblent de bon augure. Cela étant dit, il y a à mon avis un bénéfice collatéral notable à « L’affaire Seigenthaler » : un rappel au bon sens quant au caractère évolutif de Wikipédia. C’est un projet très riche d’informations pertinentes, qui mérite qu’on s’y attarde, mais cela ne doit pas faire oublier qu’il s’agit d’un chantier. Dans le tout premier billet que j’ai consacré à Wikipédia, j’écrivais ceci :

« Dans les faits, force est de reconnaître que le chemin parcouru par Wikipédia, tant au niveau de ses contenus que de ses processus de régulations, eux aussi en constante évolution, est loin d’être négligeable. Évidemment, il demeure qu’en son état actuel, on aurait peu de peine à dénicher un article incomplet ou maladroit : il importe de le dire et de le redire, Wikipédia c’est d’abord un projet, encore tout jeune, dont l’existence de la version francophone date seulement du 23 mars 2001 – ce qui, on en conviendra, est somme toute très court dans la vie d’une encyclopédie. Et bien sûr, l’incomplétude de ce perpétuel chantier appelle, d’une manière générale, à la vigilance et l’esprit critique. » (janvier 2005)

D’ailleurs, si de nouveaux collaborateurs de qualité et d’horizons variés sont constamment recherchés en vue d’enrichir Wikipédia et d’augmenter sa fiabilité, cela ne veut pas dire que la popularité de Wikipédia satisfasse nécessairement les participants, puisqu’il importe que les lecteurs soient conscients qu’il s’agit d’une œuvre évolutive. D’ailleurs, la page d’accueil de la version francophone de Wikipédia permute régulièrement entre les appellations « Wikipédia, l’encyclopédie… » et « Wikipédia, le projet d’encyclopédie… ». Sur le fond, il y a accord sur le fait que Wikipédia doit être/est 1) de nature encyclopédique et 2) en perpétuel chantier. Ces points doivent être connus, mais il y a cependant un désaccord quant à l’usage du terme « projet », pouvant évoquer un échéancier menant à quelque chose d’autre… Aussi, il faut noter qu’il y a de ça quelques mois, les Avertissements généraux ont été dupliqués : l’hyperlien des avertissements figurait en bas de chaque page, il est maintenant à la fois en bas de chaque page et dans la boîte de navigation, afin de leur assurer plus de visibilité.

Quoi qu’il en soit, « L’affaire Seigenthaler » aura sans doute eu au moins ce bénéfice collatéral de rappeler aux personnes moins familières avec Wikipédia qu’il s’agit d’une œuvre en perpétuel chantier et que la vigilance demeure de mise. D’ailleurs, soit dit en passant, il me semble qu’une « société de l’information », pour reprendre une expression galvaudée, nécessitera toujours davantage de compétences à questionner, ainsi que des aptitudes affinées dans le développement d’une réflexion critique, de la part de tous et chacun.

Pour le reste, le travail continu.

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MAJ du 12 décembre 2005 : Le mauvais plaisantin à l’origine de « L’affaire Seigenthaler » est maintenant connu. Extrait du New York Times du 11 décembre :

« It started as a joke and ended up as a shot heard round the Internet, with the joker losing his job and Wikipedia, the online encyclopedia, suffering a blow to its credibility. […] » (Voir l’article complet du New York Times (enregistrement gratuit) – ou, de manière plus directement accessible, la version complète dans le Seattle Times).